• Herder, contre-révolutionnaire juste avant l’heure ?



    Enracinement anticonstructiviste avec völkisch/volksgeist

  • Race allemande : ethnie, langue, us et coutumes..., en opposition au progressisme béat issu de la France républicaine !

    Présentation

    Johann Gottfried von Herder (1744-1803) fut, durant le Royaume de Prusse [ancien État européen formé en 1701, à l’origine union personnelle du duché de Prusse, de la marche de Brandebourg et d’autres principautés du Saint-Empire, et intégré en 1871 à l’Empire allemand dont il est la composante principale], un philosophe, théologien, poète et critique littéraire allemand.
    Né à Mohrungen (aujourd’hui Morąg, en Pologne), il a vécu principalement en Prusse et en Allemagne, notamment à Weimar, où il a exercé une haute influence en tant qu’intellectuel du mouvement Sturm und Drang [tempête et stress] et du romantisme allemand.
    Bien que né dans un territoire aujourd’hui polonais, Herder était de nationalité prussienne et son œuvre s’inscrit pleinement dans le cadre de la culture völkisch allemande [en rapport avec le mouvement völkisch ; mouvement ethnonationaliste allemand apparu au XIXe siècle] du XVIIIe siècle.

    Johann Gottfried von Herder (1744-1803), figure tutélaire du Sturm und Drang et précurseur du romantisme, à l’instar de Jean-Jacques Rousseau en France ; toutefois, il se présente avant tout comme l’antithèse des Lumières rationalistes, abstraites et uniformisatrices.
    À l’heure où le XVIIIème siècle s’énamoure de ladite raison pure, Herder défend au contraire l’esprit du peuple ou le génie du peuple [volksgeist], l’ancrage dans l’ethnie, la langue, les traditions et l’histoire. Son œuvre, loin de se fondre dans les principes révolutionnaires d’un mythique progrès linéaire, trace une voie profondément enracinée, opposée au constructivisme des Lumières.

    Sur l’amour de sa patrie et de ses coutumes :

    « Chacun aime sa patrie, ses mœurs, sa langue, sa femme, ses enfants ; non parce qu’ils sont les meilleurs du monde, mais parce qu’ils sont absolument les siens, et il s’aime lui-même et son propre labeur en eux. »

    Volksgeist, critique du rationalisme et vision organique de l’histoire : autant d’idées qui firent de lui un véritable opposant intellectuel au dogme révolutionnaire.

    Sommaire

    I. Le Volksgeist : une pensée enracinée contre l’universalisme abstrait
    II. La langue, clef de la pensée et de l’identité nationale
    III. L’histoire comme développement organique, contre l’illusion d’un mythique progrès linéaire
    IV. Une critique radicale des Lumières et de leurs dérives révolutionnaires-subversives
    V. L’héritage de Herder : entre nationalisme romantique et rejet du jacobinisme
    VI. Conclusion, extraits & livres

    Σ

    I. Le Volksgeist : une pensée enracinée contre l’universalisme abstrait

    Au moment où les philosophes maçonniques des Lumières prônent un homme planétaire, interchangeable, et un cosmopolitisme déconnecté des réalités naturelles, Herder forge le concept de Volksgeist, cet « esprit du peuple » qui fonde l’identité d’une nation à travers sa langue, ses coutumes, sa biologie et ses mythes.

    Il rejette l’idée d’un homme abstrait, réduit à une raison déliée de tout contexte, de toute incarnation, par individualisme et subjectivisme, telle que l’entendaient Kant, Voltaire ou Rousseau. Pour lui, chaque peuple s’inscrit dans une histoire propre, façonnée par les siècles et non par des principes arbitraires dictés par quelque intellectuel parisien enfermé dans son cabinet. La Révolution française, paradoxalement ou non (car elle est patriotique par ailleurs), en brisant l’ordre organique des nations, n’a-t-elle pas été l’illustration tragique de ce mépris des racines ?

    P.S. Comme le rappelle souvent Jérôme Bourbon, notre monde moderne tient un double mépris de l'incarnation/Incarnation, il rejette en premier lieu l'ordre naturel, le fait que des peuples s'incarnent dans un berceau propre, mais refuse également la venue du Christ sur terre !

    II. La langue, clé de la pensée et de l’identité nationale

    Herder soutient une idée radicale pour son temps : la langue – non déconnectée d’un peuple de préférence –, structure la pensée. Loin d’être un simple outil de communication interchangeable, elle est la clef de voûte d’une vision du monde propre à chaque peuple, formant une mentalité.

    Cette pensée sera prolongée par Wilhelm von Humboldt et inspirera même, bien plus tard, les réflexions sur la défense des langues nationales contre le nivellement mondialiste, appelées d’ultra-droite... Là encore, l’uniformisation prônée par les Lumières et réalisée par la Révolution (avec l’imposition du français standard contre les langues locales) va contre le principe naturel de richesses provinciales nourrissant l’État national.

    « la tâche ultime de notre existence est d’accorder la plus grande place au concept d’humanité dans notre propre personne (…) à travers l’impact de nos actions dans nos vies ». Tâche qui peut « s’établir uniquement par les liens établis entre nous en tant qu’individus, et par ceux qui nous lient avec le monde qui nous entoure »3. Il insiste sur le fait que « l’éducation individuelle ne peut continuer que dans le contexte plus large du développement du monde »4. il examine les « demandes qui s’adressent à la Nation et à une Époque de la race humaine ». Et il n’a jamais cru que « la race humaine puisse atteindre une quelconque perfection générale, conçue en termes abstraits ».

    Wilhelm von Humboldt, Théorie humaine de l’éducation.

    « L’éducation de l’individu suppose son incorporation dans la société et mobilise largement ses liens avec celle-ci ».

    Wilhelm von Humboldt, Journal en 1789.

    III. L’histoire comme développement organique, contre l’illusion d’un mythique progrès linéaire

    Herder combat la vision des Lumières d’une histoire universelle tendant vers un progrès inéluctable. Là où « nos » philosophes du XVIIIème siècle imaginent une marche irréversible vers la « raison » et la « liberté » absolues, il répond par une histoire organique, stable, incarné, où chaque peuple évolue selon son génie propre, sans qu’il y ait de modèle unique applicable à tous – à part dans des éléments moraux et chrétiens bien sûr !

    Il récuse ainsi l’idéologie révolutionnaire qui prétend imposer partout un modèle politique unique : en voulant abolir les structures historiques et les traditions sous prétexte de progrès, la Révolution s’est livrée à un vandalisme sans nom, coupant l’homme de son passé, de son assise tout court, et le transformant en un individu déraciné, livré aux chimères de l’utopie.

    Père Nonnotte : grand adversaire contemporain de Voltaire

    IV. Une critique radicale des Lumières et de leurs dérives révolutionnaires-subversives

    Dès son époque, Herder pressentait déjà ce que la pensée des Lumières avait d’artificiel et de destructeur. Il refuse de réduire l’homme à une entité purement personnelle, ignorant ses racines, ses croyances et son attachement à une communauté organique.

    Cette critique prend tout son sens devant les excès de la Révolution française, qui, sous couvert de raison et d’égalité,  faisant du passé table rase, et détruisant les corps intermédiaires entre l’individu et l’État (de la famille à la province) a détruit des siècles de traditions, arraché les peuples à leur héritage et instauré un ordre froid et mécanique où l’État prétend tout régenter jusque dans l’intimité.

    Herder, par la profession d’un amour ordonné de l’individu pour sa communauté et ses traditions, s’opposait en réalité à l’idéologie révolutionnaire française, bien avant qu’elle ne prît corps en 1789.

    Élie Fréron, l’opposant contemporain de Rousseau et de Voltaire

    V. L’héritage de Herder : entre nationalisme romantique et rejet du jacobinisme

    Herder eut une influence déterminante sur le nationalisme romantique du XIXème siècle, notamment dans le monde germanique et slave. Il inspira des penseurs, des universitaires et des écrivains qui, refusant le modèle jacobin français, cherchèrent dans l’histoire et les traditions nationales, la véritable essence des peuples – peuple doit tenir une définition à ne pas prendre à la légère.

    Son « nationalisme » n’avait rien d’agressif ou de chauvin primaire : il exaltait la diversité des nations et le respect de chaque peuple dans son originalité. Son combat était avant tout contre l’uniformisation forcenée, qu’elle vînt de la Révolution française ou de la modernité industrielle.

    Jacobins patriotes, en un sens maçonnique, sécularisé et républicain :

    Le patriotisme jacobin, bien que fervent, s’inscrivait dans une perspective largement influencée par la philosophie des Lumières et les loges maçonniques, où l’unité nationale se construisait par l’érosion des traditions locales et régionales, la laïcisation de la société et l’instauration d’un cadre politique détaché des réalités culturelles particulières.
    La Révolution n’hésita d’ailleurs pas à user de la contrainte pour imposer cette nouvelle vision du peuple et de la nation, notamment à travers la Terreur, la persécution de « corps intermédiaires » (Église, provinces, corporations) jugés incompatibles avec la République dite une et indivisible.

    Conclusion, extraits & livres

    Herder apparaît aujourd’hui comme un penseur prophétique, dont les intuitions résonnent particulièrement devant l’urgence de la situation (survie et transmission des peuples européens de souche à l’Ouest) et les périls contemporains. Il avait perçu, et ce, dès le XVIIIème siècle, le danger d’un monde dominé par l’abstraction, le faux humanisme niveleur et la négation des enracinements.

    Face aux révolutions destructrices, à la dissolution des peuples dans un cosmopolitisme hors-sol et à l’oubli des traditions, son œuvre offre une réponse roborative : renouer avec l’esprit du « peuple », redécouvrir la langue comme matrice de la pensée, restaurer une histoire organique, et, en somme, rejeter les utopies révolutionnaires pour retrouver le sens du réel !

    Sur la nature transitoire des constructions humaines :

    « Ainsi nous bâtissons sur la glace, ainsi nous écrivons sur les vagues de la mer ; les vagues rugissantes passent, la glace fond, et notre palais s’en va, comme nos pensées. »

    Sur la diversité des nationalités et leur perfection propre :

    « Chaque nationalité contient son centre de bonheur en elle-même, comme une balle le centre de gravité. »

    Sur l’importance de l’inspiration :

    « Sans inspiration, les meilleures forces de l’esprit restent dormantes. Il y a en nous un combustible qui a besoin d’être enflammé par des étincelles. »

    Sur la création du monde par l’humanité :

    « Nous vivons dans un monde que nous créons nous-mêmes. »

    Pour approfondir avec les œuvres majeures (ed. Flammarion) :

    📖 Johann Gottfried von Herder, Traité sur l’origine de la langue (1772)
    📖 Johann Gottfried von Herder, Une autre philosophie de l’histoire (1774).
    Johann Gottfried von Herder, Voix du peuple dans les chants (1778-1779) : Le mythe du peuple : de Herder aux romantiques de Heidelberg
    📖 Johann Gottfried von Herder, Idées pour la philosophie de l’histoire de l’humanité (1784-1791).
    🔗 CNRTL – Définition du terme « volkisch »

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  • 2 commentaires




    Herder peut être comparable au comte de Maistre à quelques égards en ce sens que tous deux ont jeté les bases du romantisme tout en étant passés par la franc-maçonnerie avant d'en revenir et d'en pourfendre les principes. Cette profession de foi anti-libérale d'Herder a surgi d'une réaction essentiellement contre l'influence magistérielle du voltairianisme de plus en plus prégnante dans les réformes prussiennes, surtout depuis Frédéric le Grand, à l'ère du despotisme éclairé. Herder, qui a été nourri de Rousseau (derechef à l'image de Maistre), a retenu de ses dogmes la vérité captive que l'on pouvait y déceler, en envisageant son idée de « volonté générale » comme la première manifestation du principe d'une communauté ethnique : Si la partie vit de la vie du tout, elle veut le tout qui en retour se veut en elle, de sorte qu'à l'idée rousseauiste de « volonté générale » doit être reconnu le mérite de contenir une vérité captive cruellement ignorée par la philosophie politique de la monarchie ; contre Rousseau, la volonté générale n'est pas la somme, ou le résultat de l'addition de volontés particulières ; contre la thèse de l'extériorité radicale entre volonté du chef et volonté de la multitude, la volonté du tout, au génitif subjectif, est volonté de soi du tout en ses parties, volonté se médiatisant en celle de ses parties, et telle est aussi la vérité captive de l'idée démocratique : le corps politique a, en lui-même, en tant qu'il est vivant (est vivant ce qui a en soi le principe de son mouvement), le principe de sa structuration ; mais, contre l'idée démocratique, la volonté populaire (en laquelle elle s'anticipe nécessairement, pour qu'il y ait organicité et par là bien commun, cette volonté singulière du tout hypostasiée en la personne de son dirigeant) n'est pas la somme ou la résultante du conflit des volontés privées des parties, elle est expressive de la nature de la volonté des parties, par là de ce que, en droit, des parties vertueuses devraient vouloir, et à quoi, en fait, leurs volitions non-éclairées ne correspondent pas. Le défaut structurel des monarchies de droit divin, objectivement porteur du bouleversement de 1789, est de n'avoir pas su reconnaître en leur autorité l'expression de cette causalité en forme d'action réciproque ci-dessus évoquée. Et c'est pourquoi elles n'ont pas su non plus reconnaître en leurs propres parties constitutives autant de particularisations de soi du tout en elles, générant de ce fait des sociétés d'ordres (et non des sociétés d'ordre) qui étaient des sociétés de classes, confondant un précaire équilibre entre parties potentiellement conflictuelles avec l'ordre véritable, c'est-à-dire l'ordre organique. Herder a de fait contribué à l'organicité völkisch. Le cas de son acolyte Fichte est aussi parlant : D’abord franc-maçon, cosmopolite, héritier du subjectivisme kantien, et admiratif de la Révolution française, celui-ci attendra la désastreuse défaite prussienne à Iéna, en 1806, contre les occupants français, pour revirer, en redécouvrant les vertus de la germanité, face à l'hégémonie du cosmopolitisme symbolisée par l'Empire Français. Au lieu de conditionner « l’adhésion » à la nation par un contrat (ainsi que le faisaient E.-J. Sieyès, puis plus tard E. Renan, au nom d’une conception subjective, en France), il avait fini par définir l’appartenance à celle-ci selon des éléments objectifs, passant ainsi du nationalitarisme jacobin à un nationalisme plus formalisé prenant ses distances avec l'esprit révolutionnaire. Je te recommanderais également d'étudier la figure de Justus Möser, théoricien du Volkstum, qu'il charpentât en opposition à la Révolution française et aux droits de l’homme, en redéfinissant les frontières ethno-linguistiques face aux États-croupions résultant du patriotisme administratif.


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