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Publié le par Florian Rouanet
🛡️ À l’heure où l’on distribue des auréoles à la légère, il convenait de vérifier si Charles le Grand passa vraiment du trône à l’autel
⁂ 𝔄rène du dossier ouvert
ℭher lecteur, la geste carolingienne a tant fait bruire les chroniques que, parfois, le mythe populaire se confond volontiers avec le droit liturgique.
L’Empire voulut son « saint empereur » tout comme Constantin pour l’Orient ; l’obédience impériale de Frédéric Barberousse s’y attacha avec une célérité qui sentait davantage la politique de la couronne que la dévotion. En 1165, l’élévation des reliques et la « canonisation » de Charlemagne furent proclamées à Aix-la-Chapelle par Pascal III, antipape rival d’Alexandre III.
Le peuple, localement, retint l’image du souverain justicier, protecteur des églises, et perpétua un culte local qu’Aix vénère encore en son Karlsfest du 28 janvier.
De là vient la confusion : saint universel ou bienheureux local ? La réponse tient en trois pierres d’angle : antipapauté, non-ratification, tolérance locale. Nous allons les poser avec sources authentiques et citations exactes.
Status quaestionis du « Bienheureux Carolus Magnus »
🎙️ Antenna I.O. Vox Frequencia
☧ 𝔏exique de cogneur
« CANONISATION, subst. fém. — RELIG. CATH. Déclaration solennelle par laquelle le Pape inscrit un personnage au catalogue officiel des saints. » — CNRTL.
« ANTI-PAPE, subst. masc. — HIST. ECCL. Nom donné, en raison de l’irrégularité de leur élection, à des personnalités ecclésiastiques ayant revendiqué les prérogatives au préjudice du pape légitime. » — CNRTL.
« CULTE, n. m. — Ensemble des formes extérieures par lesquelles l’homme honore Dieu et, éventuellement, les saints. » — CNRTL.
« MARTYROLOGE, n. m. — RELIG. CHRÉTIENNE. Catalogue où furent inscrits les noms des martyrs, puis des autres saints dont l’Église fait commémoration. » — CNRTL.
ᛟ 𝔄ncienne école éprouvée
« Pour satisfaire aux exigences de Frédéric Barberousse, il canonisa Charlemagne en 1165, mais cet acte ne fut jamais ratifié par l’Église. »
— Catholic Encyclopedia, « Paschal III » (Nouveau Avent)« À des fins politiques et pour plaire à Frédéric Barberousse, il fut canonisé (1165) par l’antipape Pascal III, mais cet acte ne fut jamais ratifié par insertion de sa fête au Bréviaire romain ni par son extension à l’Église universelle ; son culte, toutefois, fut permis à Aix-la-Chapelle. »
— Catholic Answers Encyclopedia, « Charlemagne » (Catholic Answers)« Charlemagne, empereur, à Aix-la-Chapelle en Gaule Belgique. »
— Acta Sanctorum, 28 janvier (rubrique) (heiligenlexikon.de)« En 1166 eut lieu le célèbre concile schismatique, approuvé par l’antipape Pascal III, au cours duquel fut décrétée la canonisation de Charlemagne ; celle-ci fut solennellement célébrée le 29 décembre de cette année-là. »
— Catholic Encyclopedia, « Aachen » (Nouveau Avent)« Le 28 janvier est célébré à Aix-la-Chapelle par une messe pontificale solennelle… »
— Site officiel du Dôme d’Aix, annonce du Karlsfest (Aachener Dom)« Le canon 2 déclara nulles et non avenues les ordinations conférées par les antipapes Octavien (Victor IV), Guy de Crème (Pascal III) et Jean de Struma (Calixte III). »
— Concile de Latran III (1179), présentation des canons (Wikipédia)— Acta Sanctorum, 28 janvier : dossier « Carolus Magnus Imperator, Aquisgrani » dans les Januarii (tome II, 1734), avec prologues, pièces et notices (Eginhard, etc.).
Google Books
Index détaillé
Repère secondaire— Office aquisgranien post-1165 (fête du 28 janvier) : hymnes et séquences du cycle « Regali natus » pour saint Charlemagne.
Séquence « Urbs Aquensis, urbs regalis »
« Urbs Aquensis » et hymne « O rex orbis triumphator »
Hymne « O rex orbis triumphator » : notice Cantus Database (Aachen, XIIIᵉ)
Partiturée avec source Domarchiv Aachen G 38Σ Plan d’attaque par manche
- 🇩🇪 I. ⚔️ 1165 : geste impériale et « canonisation » d’Aix
- 🕯️ II. ⛪ Culte local, office propre
- 📜 III. ⚖️ Latran III (1179) et l’invalidité des actes antipapaux
- 🧭 IV. 🔎 Tolérance romaine et usages
- 🗂️ V. 🧭 Statut actuel
🗡️ I. 1165 : l’opération Barberousse
À la fin de 1165, dans cette triste lutte entre le Sacerdoce et l’Empire, notamment contre la papauté d’Alexandre III, ce dernier entendait sacraliser sa mémoire et consolider son obédience. D’où la « canonisation » de Charlemagne à Aix-la-Chapelle par Pascal III, antipape poussé par Frédéric Barberousse. Les sources sont limpides : « il canonisa Charlemagne en 1165 », mais « cette action ne fut jamais ratifiée » ; mieux, elle fut « à des fins politiques » et non approuvée par l’Église universelle, seulement tolérée à Aix, selon la pratique populaire.
Cette « canonisation » prit la forme médiévale d’une élévation des reliques (elevatio) dans le sanctuaire de la Pfalzkapelle. La littérature savante — qu’on nous permettra d’invoquer — souligne que le contexte fut davantage politique que spirituel et orchestré pour imposer un modèle impérial de sainteté. (BYU ScholarsArchive)
➖ Ligne directrice
Un antipape peut décréter, mais ne peut point engager l’Église. L’acte de 1165 appartient au dossier schismatique du XIIᵉ siècle.🕯️ II. Élévation, office et culte local
Les témoignages liturgiques postérieurs à 1165 fixèrent une fête d’abord au 29 décembre, puis au 28 janvier (date du décès en 814), avec des pièces propres, telle la séquence Urbs Aquensis. L’Acta Sanctorum mentionne « Carolus Magnus Imperator, Aquisgrani… », preuve d’un culte local fermement ancré. (heiligenlexikon.de)
Ce culte n’a point disparu. De nos jours, Aix célèbre le Karlsfest autour du 28 janvier comme Hochfest local, avec messe pontificale, confréries et chant grégorien ; l’institution cathédrale répète que la « canonisation » ne fut pas reconnue par Rome, ce qui, per se, explique l’absence d’extension universelle.
📜 III. Latran III (1179) : l’invalidation des actes d’obédience
Quatorze ans après, le IIIᵉ concile du Latran scella la fin du schisme et déclara nuls les actes sacramentels conférés par Victor IV, Pascal III, Callixte III. Si le canon 2 vise explicitement les ordinations, la matière est claire : les actes de juridiction de ces obédiences n’avaient aucune valeur. À plus forte raison, un décret de canonisation émanant d’un antipape ne pouvait être tenu pour valide ni licite. C’est ce qu’enseigne la doctrine catholique constante sur la compétence exclusive du Pape légitime pour la canonisation.
📄 Nota bene
Le canon 2 ne « vise » pas formellement la « canonisation » de Charlemagne. Mais il ruine l’autorité de Pascal III à conférer un acte de souveraine juridiction. La non-ratification romaine achève le raisonnement.🧭 IV. Tolérance romaine et l’usage « Bienheureux »
Reste la piété populaire, tenace en terre impériale. Les encyclopédies catholiques de référence résument l’équilibre : culte permis à Aix, non ratification universelle, absence au bréviaire. La tradition a donc parfois parlé de « Bienheureux Charlemagne », en France comme en Allemagne, au sens équivoque d’une vénération locale tolérée (cultus confirmatus), et non d’une béatification pontificale in forma iuris. La nuance est d’or : tolérance n’est pas décret, ni rejet trop frontal.
Il faut ici déployer la distinction capitale entre canonisation (définition pontificale engageant l’Église entière) et culte particulier (consuetudo). Benoît XIV (Prospero Lambertini), maître en la matière, fixait ou rappelait la doctrine sur le pouvoir pontifical en ces causes ; ce corpus explique pourquoi les acclamations ou consécrations locales ne suffisent pas — sur la nature de la canonisation et son historicité.
🗂️ V. Statut actuel : Aix d’abord, Rome observe
Aujourd’hui encore, Aix-la-Chapelle fait mémoire de Charlemagne le 28 janvier, Hochfest propre assorti d’une liturgie solennelle. Les instances locales et mêmes diocésaines (entendre modernistes…) n’affirment pas une sainteté de droit commun (ce que confirme, de manière convergente, l’absence au Bréviaire universel signalée par la Catholic Encyclopedia).
Ce constat négatif vaut décision pratique : nul office de « saint Charlemagne » dans l’Église latine ,hors des lieux autorisés, et aucune obligation liturgique générale. Les historiens et les européanistes, eux, peuvent certes s’émouvoir de la mémoire de l’Empereur en tant que tel, et à raison !
☩ 𝔖entence par KO
🪶 Leçons : acclamation vs définition : le magma hagiographique carolingien, parfois fouillé et décapant dans ses légendes suffit à en faire un grand Chef, mais non à le canoniser. À rebours des emballements, en faisant la part des choses, rappelons notre règle : Charlemagne, Prince chrétien, législateur, promoteur du chant romain et de l’unité liturgique, oui ; saint de l’Église universelle, non. Canoniser n’est pas couronner. Bienheureux local par tolérance historique et populaire, si l’on veut user du langage des anciens auteurs.
Grand Empereur, référence franque ultime et européenne par excellence, il fut un Constantin 2.0 à certains égards. Nous avons traité ici du statut cultuel de Charlemagne dans l’Église catholique. Le reste est littérature, parfois de bon aloi, parfois éculée. Nous eussions aimé sacrer le pugiliste lettré des Francs ; il demeure, pour l’autel romain, un grand laïc.
Ainsi, la douce piété populaire n’a pas « canonisé » Charlemagne à elle seule ; elle a pérennisé un culte local né d’un saint Empire en conflit et d’un acte schismatique, jamais universalisé.
À retenir
- 1165 : « canonisation » à Aix par Pascal III, antipape.
- 1179 : Latran III invalide les actes des antipapes.
- Non-ratification romaine, absence au Martyrologe et au Bréviaire universel.
- Culte local persistant à Aix (Karlsfest, 28 janvier).
- L’usage « Bienheureux Charlemagne » relève d’une tolérance locale, non d’une définition pontificale.
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