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Publié le par Florian Rouanet
Résumé : Depuis l’Antiquité, les distinctions entre les peuples n’ont évolué que relativement, passant notamment de considérations géographiques et ethniques à des classifications biologiques.
Ce texte retrace ces étapes, en intégrant les perceptions antiques, les catégories médiévales et légales, et ladite théorie des climats comme tentative d’expliquer les différentes races humaines, sans lui opposer le monogénisme biblique (les parents Adam et Eve) ou encore le naturalisme scientifique du XIXe siècle.
Sommaire
I. Distinctions antiques : géographie, culture et couleur II. Origine médiévale et notion de lignée III. Institutionnalisation et racialisation sous l’Ancien Régime IV. Code noir : cadre juridique et implications raciales V. Théories des climats et différenciation humaine VI. La biologisation des races au XIXe siècle
I. Distinctions antiques : géographie, culture et couleur
Perceptions chez les Grecs et les Romains
Les Grecs de l’Antiquité considéraient souvent les différences humaines principalement sous l’angle de la géographie et des coutumes (éthique et culture). Hérodote, dans ses Histoires, distingue les peuples selon leurs modes de vie (nomades, sédentaires, marins), ainsi que leur environnement naturel, sans véritable hiérarchie biologique, sinon morale, intellectuelle et en termes de force.
Exemple de terminologie
Les peuples méditerranéens (notamment les Grecs eux-mêmes) sont parfois qualifiés de « noirs » ou de « bruns » par des tribus nordiques, réputées êtres plus pâles (Germains et Celtes).
À l’inverse, les Grecs utilisent des termes comme aithiops (« visage brûlé ») pour décrire les Éthiopiens, soulignant leur couleur de peau, mais sans y apposer une dimension raciale fixe – comme nous l’entendrons lors des colonisations et de la période moderne.
Extrait d’Hérodote :
« Les Éthiopiens sont les plus robustes des hommes, vivant sous un soleil ardent ; les Scythes, sous des cieux glacés, sont lents et somnolents. »
(Livre III).Universalisme monogénique chez les Stoïciens
Les philosophes stoïciens, combattus de l’Église pour diverses conclusions, tels que Zénon et Sénèque, avancent une vision universaliste de l’humanité, considérant tous les hommes comme issus d’une même nature, indépendamment des différences géographiques ou culturelles.
Cela dit, ce raisonnement n’empêche pas d’identifier la particularisation des races.
Opposition entre Grecs et « Barbares »
Toutefois, les Grecs et les Romains utilisaient souvent le concept de « barbare » ou de métèque, pour désigner ceux qui ne partageaient, ni leur langue, ni leur mode de vie, ou qui se situaient à l’extérieur de la Cité.
Cette distinction était plus culturelle et « nationale » (tribale ?) que biologique, bien que des caractéristiques physiques sont évoquées.
II. Origine médiévale et notion de lignée
Au Moyen Âge, l’idée de « race » n’a pas la connotation biologique qu’elle revêt dans les périodes modernes : elle se concentre avant tout sur la notion de lignée, qu’elle soit familiale, sociale ou religieuse. Les hiérarchies médiévales s’organisent autour de la famille, de l’appartenance à une caste (clergé, noblesse, paysannerie) et des distinctions confessionnelles (catholique, protestante, juive).
« C’est par la vertu des aïeux qu’un homme noble s’élève, et chaque génération qui suit conserve ce lustre hérité. »
Jean de Salisbury, Policraticus (1159).Dans le cadre de la société féodale, la lignée joue un rôle primordial. La noblesse fonde son autorité sur la pureté de son sang et sur la transmission héréditaire des droits et privilèges. Cette importance accordée à la filiation se retrouve dans les récits épiques médiévaux, comme dans la Chanson de Roland, où les exploits héroïques sont souvent associés à la grandeur des ancêtres (rappelant Homère, dans une forme germanique et chrétienne).
Cela dit, l’homme médiéval connaissait et n’était pas choqué par les citations tribalistes de l’Ancien testament :
« Ne concluez pas d’alliance avec ces peuples, ne les épargnez pas. Ne vous unissez pas à eux par le mariage. […] Car ils détourneraient vos fils de moi, et ceux-ci serviraient d’autres dieux. »
Deutéronome 7:2-4
III. Institutionnalisation et racialisation sous l’Ancien Régime
À partir des grandes explorations du XVe siècle, les Européens rencontrent des peuples autochtones d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Ces contacts donnent lieu à des descriptions ethnographiques marquées par des jugements de valeur.
« Ces hommes nus, bien que doués de raison, vivent comme des enfants sans loi ni foi, ignorants des choses sacrées. »
Christophe Colomb, Lettre à Santángel (1493)« Je lui ai répondu [à Moctezuma] que nous étions venus pour les instruire et leur montrer la vraie foi chrétienne, dont ils avaient été si longtemps privés, et pour leur faire connaître le vrai Dieu. »
Hernán Cortés, Seconde lettre à Charles Quint (1520)Avec les conquêtes coloniales, la notion de « race » se formalise dans des cadres juridiques et économiques, notamment avec le développement de l’esclavage transatlantique. Et la conception chrétienne de l’égalité des âmes entre en tension avec la perception de différences naturelles, raciales, éducatives et culturelles.
IV. Code noir : cadre juridique et implications raciales
La traite transatlantique, initiée au XVIe siècle, institutionnalise officiellement la notion de race en codifiant l’esclavage selon des critères ethniques (cela le réglemente et l’adoucie par la même). En 1685, le Code noir, promulgué par le roi Louis XIV, établit un cadre juridique pour la gestion des esclaves dans les colonies françaises.
« Les esclaves seront instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine […], mais ils demeureront la propriété de leurs maîtres. »
Code noir (1685).Ce texte formalise une hiérarchie où les individus d’origine africaine sont réduits à un statut de biens meubles, fondant ainsi une distinction entre « races » sur une base davantage économique et légale.
Dans les colonies espagnoles et portugaises, des systèmes similaires, comme les encomiendas et les mita, assignent des rôles spécifiques aux populations indigènes

V. Théories des climats et différenciation humaine
Origines grecques : Hippocrate et Aristote
La théorie des climats, développée dès le Ve siècle avant J.-C., explique les différences humaines par l’influence des conditions géographiques et climatiques. Hippocrate, dans son traité Des airs, des eaux et des lieux, associe le tempérament physique et moral des peuples à leur environnement. Aristote reprend cette idée en notant que les peuples nordiques, vivant dans un climat froid, sont courageux mais manquent d’intelligence, tandis que les peuples méridionaux, dans un climat chaud, sont plus rusés mais efféminés.
« Ceux qui habitent des pays montagneux, âpres, élevés et arrosés de pluies abondantes, sont nécessairement d’une grande taille et d’une constitution robuste ; leur caractère participe de la rudesse du pays. »
« Ceux qui vivent dans des pays froids, dépourvus de soleil, sont corpulents, robustes et enclins à la violence. »
Hippocrate, Des airs, des eaux et des lieux.Développement aux Lumières
Montesquieu reprend cette théorie dans De l’esprit des lois (1748), où il relie les caractères politiques et sociaux des peuples au climat.
Extrait de Montesquieu :
« Sous des climats ardents, les hommes ont peu de vigueur ; les froids excessifs leur ôtent la curiosité et l’activité. »Cette approche s’oppose partiellement à la vision racialiste en ce qu’elle attribue les différences non à une essence biologique immuable, mais à l’environnement naturel.
Compatibilité avec le monogénisme chrétien
Toutefois, ces vues sont largement compatibles avec le monogénisme biblique, fondé sur Adam et Ève, ancêtres communs de toute l’humanité
Elle offre une explication philosophique, et éventuellement scientifique, exposant : les différences raciales à titre accidentel et l’unité de l’humanité.
VI. La biologisation des races au XIXe siècle
La biologisation des races, amorcée à l’époque moderne grâce aux recherches scientifiques et en matière de gênes, se développe avec les avancées scientifiques et les classifications naturalistes.
Cette relative rupture, ou plutôt cette complétion, offre une vision où les différences humaines sont perçues de façon héréditaires et immuables.
« Les races humaines sont, en réalité, des sous-espèces, et leur évolution suit des lois biologiques similaires à celles qui régissent le reste du règne animal. »
Ernst Haeckel (1834-1919), Anthropogenie (1874)« L’histoire de la civilisation est celle de la lutte entre les races supérieures et inférieures, où les premières imposent leur ordre et leur progrès. »
Arthur de Gobineau (1816-1882), Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855).« Dans le domaine de l’évolution, la race est le mécanisme de sélection qui oriente la direction du progrès humain. »
Houston Stewart Chamberlain (1855-1927), Les Fondements du XIXe siècle (1899).« Les différences entre les peuples ne doivent pas être perçues comme des distinctions de valeur, mais comme des adaptations aux environnements variés dans lesquels l’humanité s’est développée. »
Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840), De Generis Humani Varietate Nativa (1775).« Il existe des variations significatives dans les caractéristiques physiques des peuples européens, mais elles ne peuvent justifier une hiérarchie biologique rigide. »
Rudolf Virchow (1821-1902), Études anthropologiques.
Conclusion
De l’Antiquité à l’époque moderne, en passant par Moyen Âge et Renaissance, les distinctions entre les peuples ont évolué d’une approche instinctives, géographique et ethnique à une conception biologique.
Le monogénisme biblique, ainsi que la théorie des climats, montrent que les différences raciales tiennent de l’accidentel et sont interprétées de manière dynamique.
La science va offrir une analyse supplémentaire à la philosophie et à la théologie, tandis que l’émergence des idées racialistes à partir du XIXe siècle, va fixer une hiérarchie plus rigide et durable.
Pour aller plus loin (liste non exhaustive) :
- Hérodote, Histoires.
- Montesquieu, De l’esprit des lois (pour la théorie des climats, mais à éviter).
- Hippocrate, Des airs, des eaux et des lieux.
- Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines.
- Walther Darré, La Race.
- René Binet, Théorie du racisme
- Vincent Reynouard, Plaidoyer pour le racisme
- Michel Drac, La question raciale


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