-
Défense et illustration du nationalisme
Arnaud Guyot Jeannin vient de faire paraître un petit ouvrage intitulé « Critique du nationalisme » et sous-titré « Plaidoyer pour l’enracinement et l’identité ».
Disons-le immédiatement : ce livre est une charge continue contre le nationalisme et n’incite en rien à s’enraciner et à être fier de son identité. Il est aussi et surtout empli d’erreurs et appartient à cette catégorie d’ouvrages qui ne sont rien d’autre que des boulets visant le camp qu’ils prétendent défendre. Il est indispensable de clarifier la question.
Guyot Jeannin déconstructeur
Que Guyot Jeannin n’aime pas le nationalisme, cela apparaît dès la première ligne de l’introduction qui consiste en une citation d’un dénommé Ernst Gellner – citoyen britannique exilé juif de Bohême Moravie en 1939 – qu’il fait sienne : « L’idéologie nationaliste est imprégnée de raisonnements erronés. Ses mythes inversent la réalité : elle prétend défendre la culture populaire alors qu’en fait, elle forge une haute culture. Elle prétend protéger une société populaire ancienne alors qu’elle contribue à construire une société de masse anonyme ».
Dès l’abord, le nationalisme nous est présenté de fait comme un fatras d’élucubrations démentes, fausses et par suite dangereuses. Plus encore, le nationalisme est réduit à l’état d’une idéologie constituée de mythes, autrement dit d’images et de récits sans fondement scientifique qui travestissement le réel. Pour un Guyot Jeannin qui est généralement classé politique « de droite », sinon de droite extrême, le propos ne manque pas d’étonner.
Et, si nous suivons ce texte, le nationalisme est accusé de forger une « haute culture ». Mais où est le mal ? En toutes choses il faut rechercher l’excellence. Et la culture populaire n’est-elle pas l’expression vivante de l’âme d’un peuple, du génie de ce peuple ? Elle constitue la substance à partir de laquelle il est naturel que l’intelligence humaine se développe, se nourrisse et s’accomplisse. L’intelligence de chacun est l’héritière d’un savoir sans lequel, non seulement elle ne serait pas elle-même mais sans lequel elle serait carencée, l’homme ne pouvant « s’homminiser », se réaliser en tant qu’homme, que dans le cadre d’une tradition culturelle et civilisatrice. Dès lors, dans ce cadre, notre intelligence développe une pensée qui participe à l’expression de la richesse de l’humanité dans l’universel, laquelle est constituée de l’ensemble de la diversité des peuples qui la constituent.
Mais une autre accusation vient aussitôt : le nationalisme vise à constituer une société de masse anonyme, trompant en quelque sorte les peuples sous couvert de protection de leur culture populaire. C’est en fait réduire le nationalisme au cas particulier du jacobinisme pris comme référence – ce qui est fait p. 35 en écrivant que le jacobinisme est cause du nationalisme : « L’absence d’intermédiaire entre le citoyen et la nation a été rendu possible à cause de la centralisation pré jacobine de la monarchie absolue ». De même, si le fascisme et le national-socialisme sont ici visés, faut-il rappeler le contexte dans lequel ils sont apparus et se sont développés, à savoir celui de peuples qui devaient achever leur unification, scellée dans le sang de la Grande Guerre et, plus particulièrement pour l’Allemagne, celui d’un peuple désirant retrouver une place juste dans le concert des nations, place qui lui était refusée par les vainqueurs de 1918 lesquels, fait nouveau dans l’histoire, n’avaient pas tant soi peu associé le vaincu à l’établissement de la paix. Rappelons que le traité de Versailles disposait d’un article 19 ouvrant la voie à sa révision, article qui fut vite ignoré mais dont l’évocation aurait pu contribuer à éviter une montée aux extrêmes. Mais on ne refait pas l’histoire.
Guyot Jeannin ne va pas s’arrêter là ; il va continuer à tenter de déconsidérer le nationalisme tout au long de son écrit. Ainsi, p. 53, il professe que le nationalisme est une « illusion ». En effet, écrit-il, « l’illusion nationaliste semble reprendre l’avantage face au mondialisme (mercantiliste et techniciste) – auquel il est indissociablement lié – dans la mesure où elle est maximaliste et vitaliste … et exerce une forte attraction sur les masses » reprenant son propos p. 20 « le nationalisme gagne du terrain tous les jours à travers la progression du souverainisme notamment ».
Mais pourquoi donc « illusion » ? S’agit-il du nationalisme ou de ce qui le sous-tend, à savoir le fait national ? Commençons par l’objet auquel se rapporte le nationalisme, à savoir la nation. Si c’est le fait national qui est illusoire, autrement dit la nation, le nationalisme n’a évidemment ni consistance, ni valeur.
Et c’est bien ce que pense Guyot Jeannin. Là encore, il fait sienne une citation (p.46) : « Une nation est une société unie par une commune erreur quant à ses origines et une profonde aversion pour ses voisines ». (Huxley et Haddon, « We Europeans »). Sachant que ce Julian Huxley, frère d’Aldous, a été une des chevilles ouvrières du mondialisme satanique, de telles assertions ne peuvent nous étonner. Mais qu’un « patriote » s’en revendique, c’est très inquiétant.
Notons ceci : la nation est présumée fondée sur l’erreur. Il en résulte que tout ce qui pourra être invoqué quant aux origines de la nation devra être tenu pour nul et non avenu ! Peu importent les faits objectifs, réels qui fondent cette origine. Ainsi, dans le cas de la France, en se fondant sur de tels présupposés, les Gaulois sont une erreur : ont-ils existé en tant que tels ? Les travaux de Jean-Louis Brunaux sont peut-être des fables pour adultes ? Clovis, baptisé en 496 ? Mais pas du tout ! Ce peut être en 497 ou en 500, voire après. Et puis, Grégoire de Tours, notre principale source, a écrit un siècle plus tard ! Alors ….pensez !
En pratiquant cet exercice de déconstruction, pernicieux par nature – il suffit de lire les élucubrations d’un Derrida – il ne s’agit pas de rechercher quelque vérité historique, mais tout simplement de saper les fondements spirituels et historiques d’un peuple, de le faire douter de lui-même et de son droit à être lui-même.
Nous résumons : selon Guyot Jeannin, le nationalisme est une illusion fondée sur une erreur : la nation (mot dont il convient par ailleurs – p. 33 – qu’il apparaît au XIIe siècle). Et quelle erreur : elle est fondamentalement horrible car elle repose sur la haine de « l’autre » pour reprendre un mot mis à la mode par Levinas.
Décidément, si nous suivons Guyot Jeannin, la racine « nation », et tout ce qui en dérive, se résume à n’être qu’un ramassis de balivernes, par surcroît abominable et dangereux.
Flagrant délit d’absurdité
Mais ce n’est pas tout : notre auteur nous apprend que « le nationalisme abolit le passé » ! Voici les partisans du nationalisme assimilés aux Révolutionnaires et aux Républicains qui du passé font table rase ! Quelle confusion, sauf, évidemment, à assimiler nationalisme et jacobinisme comme cela semble planer dans ce livre ! En fait, s’apercevant de l’énormité qu’il vient de proférer, Guyot Jeannin va tenter de se rattraper comme il le peut en écrivant « Certes, plus tard, le ‘’nationalisme intégral’’ maurrassien et monarchiste se réclamera des quarante rois qui ont fait la France. Mais en faisant abstraction des principes de la royauté traditionnelle, l’institution royale n’est envisagée que comme l’outil qui a permis l’unité politique de la France. Il se réfère à l’institution royale en général parce qu’il considère qu’elle avait permis l’unité de la France. Tout le problème vient de ce que si cette unité est souhaitable, elle doit être transcendée par une essence spirituelle qui lui confère sa légitimité. Autrement dit, comment peut-on être nationaliste alors que la royauté traditionnelle ne l’était pas ? »
Quel galimatias ! Tentons d’y voir clair.
Maurras, nous le savons, était imprégné du positivisme d’Auguste Compte et effectivement, son monarchisme était issu d’une réflexion rationnelle tirée de l’expérience de l’histoire. Cela rappelé, il considérait l’histoire de France depuis ses origines et n’abolissait en rien le passé, à l’instar d’ailleurs d’un Napoléon Bonaparte qui n’était pas de sa chapelle et qui assumait toute l’histoire de France, de Clovis à la Révolution incluse. Quant à la nécessité d’une transcendance spirituelle pour sous-tendre l’unité de la France, c’est une vérité : le spirituel informe le matériel. Cela dit, lorsque Maurras publie ses écrits, le paradigme métaphysique fondateur de l’ordre sociétal a basculé depuis longtemps de celui d’une société s’inscrivant dans l’ordre naturel dont elle doit respecter les règles sous peine de dériver, à celui d’une société fondée sur la volonté générale dans laquelle ce que veut l’homme guidé par sa seule raison, au gré de ses modes et de ses passions, détermine l’ordre social (nous le vivons actuellement avec la subversion généralisée des mœurs).
Mais, après avoir énoncé une vérité, trop ignorée, notre auteur ajoute l’absurdité suivante : comment peut-on être royaliste et nationaliste alors que la royauté traditionnelle ne l’était pas ? Guyot Jeannin feint-il d’ignorer, comme nous le montrerons ci-après, que le nationalisme est l’expression de tout ce qui se rapporte à la défense et à la promotion des intérêts et du bien commun de cette entité politique aujourd’hui appelée nation, depuis que la royauté très chrétienne qui l’incarnait a été supprimée avec le meurtre rituel de Louis XVI et que le règne de Charles X, en dépit de ses erreurs tactiques, n’a pas pu relever parce que, tout simplement, que cela plaise ou non, nous avions changé de monde spirituel ? Autrement dit, la royauté traditionnelle ne pouvait pas se qualifier de nationaliste, bien qu’elle le fût par nature, puisque le mot n’est apparu qu’après sa destruction ! D’ailleurs, et il insiste beaucoup sur ce point, le mot nationalisme est d’une invention récente puisqu’elle est liée à ce renversement de paradigme. Nous allons y revenir.
Une critique matérialiste
Mais auparavant, arrêtons-nous sur un point inquiétant : celui du matérialisme qui transparaît dans les propos de Guyot Jeannin.
A l’en croire, la nation ne serait qu’un produit de l’évolution des structures économiques. Karl Marx n’en aurait jamais tant espéré de quelqu’un qui ne se revendique pas de son courant philosophique et politique !
Guyot Jeannin, cite en effet un professeur de l’université de l’Arizona, Boyd C. Shafer, qui, écrit-il, « voit juste » et selon lequel « la Nation Etat ne s’est pas développée plus tôt parce que l’Europe féodale et agricole n’en avait pas besoin et qu’elle ne la favorisait pas » (p.38).
Et ce n’est pas tout ; p. 20, nous lisons : « (le nationalisme) progresse à mesure que le capitalisme marchand s’étend à toute la surface du globe … le nationalisme revient en force au moment de la tension vers l’unification de la planète par le Marché »
Et p. 60, nous trouvons : « La nation devient ainsi le reflet historicisé et subjectivé d’un besoin d’homogénéité exprimé par le jeu du marché économique ».
Toujours la même explication matérialiste et économiste exhalant le marxisme : pour un peu il serait possible de poser comme vérité que la nation est portée par le marché et le « capitalisme ». Mais, c’est faire bon marché de cet élément premier de toute destinée civilisationnelle : son fondement spirituel. En changeant de paradigme avec les Lumières, c’est toute l’organisation mentale de l’Europe qui s’en est trouvée modifiée alors que, dans le même temps, les premiers effets de la révolution industrielle se faisaient sentir. Et ce n’est pas la révolution industrielle qui a mis à bas l’ordre traditionnel européen mais bien les idées antichrétiennes et singulièrement anti catholiques.
Quant aux changements matériels, de modes de production induits par quelque « progrès » technique, les hommes, les sociétés s’y adaptent pour se maintenir en vie et veiller à ne pas subir la loi de quelque autre peuple. Et il est vrai que la richesse économique est un élément permettant à un peuple de s’assurer une position de puissance. D’ailleurs, le problème s’énonce simplement : il faut au moins équilibrer la puissance du voisin pour ne pas avoir à la subir.
Quant à l’unification de la planète par le « marché », il importe d’observer que celle-ci est surtout emmenée par une volonté politique sous-tendue par un projet d’essence spirituelle porté par ce que nous désignons les « Cercles mondialistes », à savoir principalement la Société fabienne à laquelle participent des financiers sans attache patriotique, et le projet messianique du judaïsme politique dont les écrits du rabbin Benamozegh donnent un aperçu. Là encore, le spirituel, le métaphysique est premier. Mais ce projet mondialiste n’aurait jamais connu un tel succès s’il n’avait pas rencontré un terrain favorable : celui d’une société chrétienne qui, dans les tréfonds de l’âme d’un trop grand nombre de personnes, ne demandait qu’à ne plus l’être. Les succès de l’anti-civilisation après 1789 s’expliquent certes par l’action des Révolutionnaires mais ils n’auraient jamais pu être aussi grands s’ils n’avaient pas rencontré un terreau déjà fertilisé au cours des décennies précédentes ; mais, pour passionnant, pour essentiel qu’il soit, il s’agit d’un autre sujet que celui que nous traitons actuellement.
Poursuivons et remarquons toutefois qu’il n’est pas besoin d’avoir renversé un trône pour homogénéiser la population d’un Etat, ni construite un Etat capable d’exister. L’empire des Habsbourg l’a montré jusqu’en 1918 : la fidélité à la personne de l’empereur, François-Joseph, puis Charles, montre qu’un lien personnel et confiant d’homme à homme suffit à assurer la cohésion d’un Etat. Certes, il sera aisé de répondre à contrario : mais il s’est dissous en 1918 ! Là encore, outre les circonstances internationales et les revers militaires qui ont poussé au démembrement de cet empire, il faut remarquer qu’il a surtout été victime de la poursuite de l’offensive menée par les rationalistes qui, tout au long du XIXe siècle, n’ont cessé de miter, corrompre les intelligences pour détruire les modes de pensée naturels et traditionnels, ceux-là même déjà renversés en 1789 en France. Rien n’était écrit en 1914, ni même après et les liens tissés par les Habsbourg perdurent : ils ont encore été exprimés lors des obsèques de l’impératrice Zita en 1989. Répétons-le : avec la Révolution dite française, nous avons changé de paradigme métaphysique et par suite religieux et, personne n’ayant été en mesure de le contrer, de le mettre à bas, il a continué sa progression.
Autre remarque : la nation helvétique est peut-être homogène en ce que sa population adhère la constitution de 1848, mais quelle diversité identitaire avec quatre langues et cultures ! (Mais Guyot Jeannin nous répondra (p.65) : « le nationalisme peut défendre les identités », comme « il peut les détruire ».)
Des carences intellectuelles
Guyot Jeannin montre ici un défaut grave de sa pensée : il ne prend en compte que l’un des trois ordres constitutifs de toute société, à savoir le matériel, qui est aussi le dernier dans la hiérarchie de ces ordres qui sont hiérarchiquement : le spirituel ; l’intellectuel ; le matériel, ce dernier dépendant des deux précédents et principalement du premier ordre, le plus important.
Certes, il reconnaît que « la modernité nationaliste, puis l’hyper modernité mondialiste, participent toutes deux d’un processus de désacralisation spirituelle de la société au profit d’une volonté de puissance politique territorialiste pour la première et d’une volonté de puissance dématérialisée pour la deuxième.
Il note que « l’homme moderne est délié de ses appartenances communautaires » et devient « ce déraciné qui ne possède plus aucune orientation existentielle » (p.22)
Effectivement, la rupture de 1789 a pour effet d’organiser un ordre du monde dans lequel l’homme ne se sent plus, ne se veut plus un être soumis à des lois de l’ordre universel qui le dépassent mais comme étant le grand ordonnateur de cet ordre du monde. Le sacré a disparu ou bien est galvaudé : il suffit d’observer quels propos, quelles opinions sont réprimés, punis avec une sévérité sans pareille par les lois des Etats en place pour trouver quel est ce pseudo sacré étant donné que, par définition, celui qui est sacrilège est puni de mort.
Auparavant, le pouvoir d’Etat légiférait avec pour seul souci de servir et réaliser le juste en se soumettant à ce que les Anciens appelaient la loi naturelle. Depuis 1789, l’autorité politique légifère en affirmant que « cela est juste parce que je le veux ». Les lois dénaturant le mariage en sont un exemple. Mais le fond de ce problème, pour fondamental qu’il soit, ne sera pas ici discuté car il sort du cadre de notre propos.
Continuons. Guyot Jeannin se réclame « d’une conception traditionaliste et enracinée, opposée à cette même globalisation uniformisatrice » qui lui « sert de base pour critiquer le nationalisme » (p.26), « angle d’attaque qui se veut le plus objectif possible » et « s’oppose aux thèses habituelles qui jugent le nationalisme d’après une grille de lecture progressiste et/ou mondialiste ».
Mais les mots, les proclamations nominalistes ne sont rien si l’on ne considère pas la vie des peuples en plaçant en premier lieu l’ordre spirituel et, sans cette prise en compte, il est impossible de développer des analyses cohérentes. Se revendiquer d’une conception traditionnaliste et enracinée veut tout dire et ne rien dire car, pour certains, l’enracinement se limite à l’attachement à un terroir, à ses monuments, à ses paysages, mais sans plus ; d’autres y joignent des aspects culturels. Par ailleurs, il y a tradition et tradition : tradition culturelle, tradition ésotérique, tradition primordiale sujet auquel notre auteur a consacré un ouvrage… Nous reviendrons sur cette question de la tradition.
A boulets rouges sur le nationalisme
Venons-en à un point central de notre sujet. Qu’entend Guyot Jeannin par nationalisme ?
Page 61, il énonce que le nationalisme recouvre plusieurs acceptions et en retient deux :
« La première définit le nationalisme comme l’aspiration plus ou moins volontaire, entée sur des éléments subjectifs ou objectifs, d’un peuple à se constituer ou reconstituer en tant que nation, celle-ci étant le cadre le plus adapté à l’affirmation de l’identité collective. Ce nationalisme est alors un mouvement perpétuel de construction historique ».
« La seconde acception définit plus simplement le nationalisme comme une doctrine politique qui affirme que le gouvernement doit se préoccuper d’abord, voire exclusivement de l’intérêt national » « Pas étonnant dès lors que le nationalisme puisse différer selon les époques et les lieux ».
Globalement, ce résumé reflète deux des principaux aspects du nationalisme. Toutefois, discuter ces deux acceptions semble étranger à sa préoccupation qui est de discréditer le nationalisme.
En ce qui concerne la première acception, remarquons qu’il est effectivement des nations qui ont pris conscience d’elle-même à partir d’un récit historique, parfois romancé, nourri de mythes qui expriment l’âme d’une population, établi par des écrivains qui, dans le même temps ont articulé celui-ci autour d’une langue qu’ils ont par la même occasion codifiée. Parmi les exemples nombreux, datant principalement du XIXe siècle, nous pouvons citer le réveil des Basques à travers notamment les écrits de Sabino Arana i Goïri mais aussi à travers la défense de leurs fueros qui ont donné lieu aux Guerres carlistes. Nous pouvons citer les Slovaques, dont le territoire était jusqu’au XXe siècle appelé la Haute Hongrie et qui ont commencé à prendre conscience d’eux-mêmes face à la magyarisation qu’ils subissaient, leur idiome slave étant menacé : la première défense de la langue slovaque date de 1787 et il faudra qu’au début du XIXe siècle, Ludovit Stur impose le « slovaque central » pour unifier les différents parlers slovaques (phénomène général dans la « fabrication » des langues nationales). En fait, comme l’écrivait Josef Jungmann, un des premiers nationalistes slovaques en 1806, « la langue, la nation et la patrie sont la même chose ».
Au fil du temps, le concept national propre à chaque nation se précise, s’affine, se vit différemment, s’approfondit : mais c’est le signe de sa vitalité. Parler de « construction historique perpétuelle » n’est rien d’autre que désigner le mouvement de la vie qui anime cette nation.
Mais comme un tel « nationalisme » n’a rien de péjoratif, notre auteur se pense obligé de préciser : « La dimension réactive est inhérente au nationalisme. Le nationalisme est ‘’contre’’. Il est rarement ‘‘pour’’. Il suscite des guerres ou est suscité par elles ». Nous y voilà une fois de plus : le nationalisme, c’est belliqueux, c’est agressif. Oh ! Sachant qu’il va se faire étriller, il prend la peine de préciser que le nationalisme peut être « pour » ; mais rarement, bien entendu ! N’a-t-il pas entendu parler que le nationalisme est avant tout la manifestation d’amour pour son peuple ? Nous allons préciser tout cela.
En attendant, Guyot Jeannin enfonce son clou en citant Isaiah Berlin – présenté hâtivement comme chantre des anti-lumières au motif qu’il dénonce certains philosophes des Lumières comme ayant influencé les totalitarismes du XXe siècle – selon lequel « le nationalisme diffère en cela de la simple conscience nationale … est avant tout une réaction suscitée par une attitude de condescendance ou de mépris à l’égard des valeurs traditionnelles d’une société »…. Et d’ajouter que le nationalisme « se désigne un ennemi… mais cet ennemi peut être différent selon les circonstances. C’est ainsi qu’historiquement, on peut constater que le nationalisme a pu aussi bien se révéler moderne qu’antimoderne, élitiste que populaire, monarchiste que républicain, de droite que de gauche, libéral que socialiste, catholique qu’athée ». (p. 63)
Nous ne ferons qu’une seule remarque à ce stade : lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts d’un peuple, d’une nation, l’accent est mis selon les nécessités du moment sur tel point ou tel domaine. Ce qui n’a rien que de très normal puisque le nationalisme n’est rien d’autre que la défense et la promotion des intérêts d’un peuple de telle manière qu’il ne se fasse pas dicter sa politique par d’autres.
Cela précisé, les attaques contre le nationalisme continuent de fuser.
« Le nationalisme est d’abord une instrumentalisation politique de l’identité collective qui se réduit à la nation » (p. 67). Aussi, le nationalisme, si nous comprenons bien ces lignes, est le fonds de commerce d’hommes sans scrupules qui veulent se servir de la nation pour faire carrière. En fait, dans le contexte actuel, mais depuis très longtemps, la plupart, sinon la quasi-totalité des nationalistes se sont affirmés comme tels en faisant don de leur personne à leur patrie, ayant plus à perdre personnellement qu’à gagner. Combien de chefs nationalistes sont morts, ont été « légalement » assassinés pour défendre ce qui leur était le plus cher, à savoir ce qui constitue le fondement de leur être, de leur personnalité ?
Mais Guyot Jeannin n’en a cure et, comme – si nous le suivons – nous pataugeons dans l’escroquerie, ne soyons pas étonné de lire que « Fondamentalement prométhéen, le nationalisme est une forme substitutive d’irrationalité active, c’est-à-dire un sentiment, une passion, habilement orientés par une structure (Etat capétien, mais aussi plus tard république jacobine ou parti politique) ».
Traduisons : produit de l’irrationalité humaine, exploité par des politiciens sans vergogne, le nationalisme est véritablement un poison !
Dès lors, il n’est pas surprenant que Guyot Jeannin accuse le nationalisme d’être une sorte de vérité transcendante : « Vérité pour soi et non plus en soi » (p. 69) La vérité pour soi étant hypertrophiée, elle se proclame vérité en soi et « La métaphysique de la subjectivité pour reprendre l’expression de Heidegger colle au nationalisme » (p. 69 et 72)
Si le nationalisme exprime une réalité qui est une vérité, c’est celle-ci : ma personne est telle qu’elle se manifeste de par son hérédité génétique, familiale, de par ce que les aléas de la vie lui impriment, mais aussi et tout autant de par les informations que son intelligence a reçues de ses aînés qui sont eux-mêmes les héritiers d’une longue tradition qui se transmet à travers les siècles. Celle-ci est l’une des formes de l’hominisation de l’espèce humaine et, si cette tradition est entamée de quelque manière, c’est toute ma personnalité qui va être attaquée et mise en péril. C’est ma culture et, sauf à vouloir me nier, me mutiler et ne pas assumer l’héritage dont je suis porteur et que je dois transmettre à la suite de mes pères, je suis contraint de la défendre et de la faire vivre. Cela, sans dénier cet impératif, ce droit à d’autres hommes d’autres traditions culturelles, d’autres peuples.
Quant à la subjectivité, la question ne se pose pas. Une culture nationale, une civilisation sont des manifestations de l’espèce humaine et participent à son déploiement et son accomplissement. Et si je dois m’efforcer de comprendre les autres, tant pour éventuellement m’en enrichir, ou tout simplement mieux m’en défier le cas échéant (car le monde n’est pas irénique), je dois faire en sorte de préserver mon phylum culturel et civilisationnel. Le problème posé est au contraire très objectif. Il est d’une réalité prégnante. Et ce problème, cette attitude doivent être nommés : nous allons montrer que le nationalisme est le mot propre à notre époque pour désigner cela. Quant à la passion, peut-on faire quelque chose dans sa vie sans une once de passion ?
L’inévitable réalité des rapports de forces
Comme Guyot Jeannin semble penser comme Mitterrand que « le nationalisme, c’est la guerre », et cela, à la suite d’un axiome posé en 1945 après l’écrasement de l’Allemagne nationale-socialiste, il prend comme exemple le colonialisme : « Le colonialisme, marque du nationalisme » (p. 50), ajoutant, en citant Raoul Girardet, qu’après 1870, le nationalisme français prend plusieurs visages paradoxaux : en réalité ces multiples visages viennent du télescopage de la conception traditionnelle de la France et de l’idéologie républicaine dont nous avons traité précédemment.
Mais l’expansionnisme d’un peuple n’est pas nécessairement une question d’idéologie. La colonisation de l’Algérie, expression d’un impérialisme ? Et donc d’un nationalisme ? Mais que l’on se souvienne : les gouvernements successifs après Charles X ne savaient quoi en faire ! En réalité, l’expansion d’un peuple est simplement la manifestation de sa vitalité, consciente ou inconsciente.
Ah ! Guyot Jeannin nous répond par cette citation d’un certain Jean-Luc Chabot qu’il appelle à la rescousse : « La logique fondamentale du nationalisme reposant sur la légitimation pour chaque nation de son droit à dominer les autres, l’affrontement guerrier en est la résultante obligée » (p. 51)
Propos caricatural : le problème n’est pas de dominer les autres mais de ne pas l’être soi-même. L’histoire du monde est marquée par le fond agressif, au sens de Konrad Lorenz, de toute espèce vivante. Il convient d’en tenir compte et de faire en sorte de ne pas subir la loi d’un autre, devons-nous le marteler. Et si les nationalistes étaient aujourd’hui les seuls à rappeler ce truisme, ils seraient le dernier rempart d’une nation. Quant à l’affrontement guerrier, c’est une vision réductrice des relations entre peuples, vision qui a dominé surtout dans le monde européen. Rappelons que les Chinois, avec Sun Tse et les Indiens avec Kautilya ont une vision moins étriquée du sujet, plus que jamais d’actualité avec ce que Qiao Liang et Wang Xiangsui appellent « la guerre hors limites ». Le nationalisme ne se réduit pas à une caricature boulangiste ou à quelque Fort Chabrol. Pour être pris au sérieux, il faut éviter d’être simpliste.
Justement, faisons justice de cette stupidité (p. 70) : « Nationalisme et utilitarisme libéral ont une parenté évidente. C’est la logique de l’utilité, de l’intérêt, qui meut l’individu et Intérêt national dans le cas du nationalisme, intérêt économique dans le cas du libéralisme ». Mais les hommes sont toujours mus par un intérêt et le premier, c’est la survie dans les meilleures conditions ! Quant à cette assertion selon laquelle « La notion d’intérêt national n’est pas claire » (p. 70), nous ne pouvons que regretter que notre auteur ne se soit pas donné la peine de la rendre claire. Mais il est vrai que si la nation est unie dans l’erreur et le nationalisme une illusion, nous aurons compris qu’ »il n’ait pas tenu à aller plus loin. Là aussi, nous allons ci-après éclairer sa lanterne.
Pour terminer sur ce sujet, relevons une dernière assertion erronée : « la multiplicité ethno culturelle est une réalité qu’elle veut supprimer au nom de l’unicité » (p. 67) Guyot Jeannin doit avoir en tête l’idéologie « nationaliste » républicaine. Car c’est tout le contraire de ce pour quoi Maurras a bataillé !
Passons maintenant au dernier paragraphe du chapitre 2 (p. 74) : « L’appartenance est un fait objectif. La défense de la nation est un jugement subjectif. On peut l’éviter : mon identité n’est pas forcément une menace pour celle des autres. Je défends mon appartenance ethnoculturelle parce que je suis prêt à défendre celle des autres.
Il faut opposer l’appartenance comme principe (avoir un principe surplombant l’appartenance, défendre les peuples, tous les peuples et par conséquent aussi le sien) à l’appartenance comme subjectivité (donner raison aux siens, défendre son peuple, en n’importe quelles circonstances). »
Ce paragraphe nous indique que nous avons affaire au mieux à un doux rêveur. Usons-nous à le répéter, l’histoire du monde est celle de rapports de forces, notamment entre les peuples et entre les Etats. L’irénisme n’a pas sa place dans l’histoire.
Etre nationaliste revient ipso facto à reconnaître la légitimité de tout peuple à exister, à se développer. Mais chacun joue sa partie et la première des règles en politique est d’admettre cette réalité. Mais le peuple auquel j’appartiens joue la sienne et je défends son existence car c’est ma propre existence qui est en jeu lorsque celle du peuple auquel j’appartiens est mise en péril.
C’est la règle de toute vie : la coexistence entre les peuples est faite d’un équilibre dynamique qui s’analyse sous forme d’un rapport de forces, spirituelles, démographiques, économiques, scientifiques sans cesse modifié, en permanence remis en cause, certaines forces évoluant sur la longue durée, comme les problèmes de spiritualité, sur la moyenne durée, comme la démographie, ou sur du plus court terme, dans le domaine économique. Où est la subjectivité dans tout cela alors que le seul problème est celui du discernement quant à la politique à mener pour assurer la défense du bien commun national ?
Tout se passe comme si notre auteur s’excusait presque d’exister ! Il n’est pas étonnant que le nationalisme lui fasse peur, sinon horreur. Sous cet aspect, il participe au mouvement de suicide collectif lancé par ceux qui ne cessent de battre leur coulpe en accablant les générations passées de toutes les entreprises qu’elles ont pu mener, refusant de voir la grandeur de la geste d’une civilisation riche et puissante pour n’en retenir que les inévitables côtés sombres.
Nationalisme, appellation contemporaine de toute politique digne de ce nom
Cela dit, Guyot Jeannin n’a de cesse d’affirmer que « Le nationalisme est donc bien une idéologie moderne. Il et plus une forme qu’une substance réelle, un contenant plus qu’un contenu dont le Moi est exacerbé » (p. 69) Moderne, cet objet de connaissance, certainement.
Le mot nationalisme est effectivement apparu avec la Révolution française lorsque la royauté de droit divin a été renversée au profit de la souveraineté du peuple et de la volonté générale, principes éminemment abstraits. C’est un mot « moderne ».
Mais, le changement d’appellation de l’entité humaine et culturelle que l’on appelle nation ne saurait transformer la substance de ce à quoi elle se rapporte : une communauté d’hommes, de familles unies par une communauté de destin dans l’universel pour reprendre la définition de José Antonio Primo de Rivera.
La nation est le nom qui a désigné le peuple français (ou les peuples de France) lorsque la royauté a été supprimée en 1792 mais tout autant lorsque, concomitamment, a été coupé tout lien avec une dimension de transcendance véritable, ancrant l’ordre humain dans l’ordre universel aux règles duquel il est soumis. Et nous vivons dans un monde où la transcendance a disparu Le premier exemple historique en Europe en est la France. Pour autant si les Français, de « sujets », deviennent des « citoyens », la substance du peuple demeure la même : un communauté de destin fondé sous l’action d’une succession de monarques qui ont su s’attacher, en leur assurant ordre et justice, la fidélité de différentes population vivant sur les multiples terroirs et territoires d’une entité territoriale qui traverse les millénaires, à savoir la « Gallia ».
D’ailleurs Guyot Jeannin reconnaît, rappelons-le, qu’« en fait, la nation (qui ne se dit pas encore comme telle) apparaît en Europe occidentale à partir des XIIe et XIIIe siècle, Philippe le Bel étant l’un des principaux artisans de cette tension vers la monarchie centralisatrice » (p. 33).
Que le nationalisme soit « intrinsèquement lié aux conséquences funestes de la chute de l’unité œcuménique européenne médiévale » – ou, comme l’écrit le postfacer de l’ouvrage qui nous occupe « la dissidence de Bouvines » la France, ajoute fielleusement celui-ci étant « une grande histoire de guerre civile (qui) étend à la planète les conflits qu’elle génère en son sein » (p. 92) – n’est pas présentement notre sujet. Notons simplement que l’idéal impérial est un fil rouge de l’histoire de l’Europe, héritière de l’Empire romain. Il y eut 396 avec la cassure entre empire romain d’Orient et empire romain d’Occident, le premier étant devenu l’empire byzantin avant de connaître son avatar tsariste après la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453. Le second a été aboli en 476 sans pour autant disparaître des esprits puisqu’il est réapparu en 800 avec Charlemagne, puis disparu au début du Xe siècle avant de renaître sous les Ottoniens pour se maintenir tant bien que mal jusqu’en 1806, le dernier avatar de l’idée impériale en Occident prenant, de manière très éloignée, la forme de l’empire des Habsbourg jusqu’en 1918. Certes, nous pouvons imaginer un idéal « empire européen », fondé sur le christianisme, allant de Dublin à Vladivostock, transposant l’image de la chrétienté jusqu’à 1064. Mais pour le moment, et vraisemblablement pour encore très longtemps, cette Europe idéale relèvera du roman. Et le fond du problème est spirituel : or la crise de la composante spirituelle de l’Europe, le christianisme, n’est pas en passe d’être résolue, sauf décret divin.
Quant à la chute de l’unité œcuménique, il ne fait pas de doute que les hérésies protestantes ont pour longtemps rompu l’unité religieuse de l’Europe plus sûrement que le schisme de 1054, lequel avait été résolu lors du concile de Florence de 1439. Plus grave encore est la crise du catholicisme, les peuples catholiques en arrivant à ignorer leur religion fondatrice. Mais cela nous éloigne de notre sujet.
Ainsi, dans le cas de la France, la nation est le nom que l’on donne depuis 1789-1793 à cet ensemble de populations devenues le peuple français après avoir été les peuples de France, les sujets du roi de France – lien d’homme à homme extraordinaire dont le dernier exemple a été celui des peuples de l’empire des Habsbourg comme nous l’avons signalé précédemment – et dont l’origine remonte en droite ligne des Gaulois, de Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, Saint Louis.
Et le nationalisme étant la science de ce qui se rapporte à la nation, le nationalisme français se rapporte à la France. Le nationalisme ne peut être une idéologie, c’est-à-dire une vision du monde fondée sur des idées souvent détachées du réel et que, plus gravement, ses partisans veulent utiliser pour tordre le réel à leurs chimères. Le nationalisme se rapporte à une réalité concrète, vivante, charnelle, spirituelle : un peuple, constitué au fil des âges, fruit de hasards mais aussi de déterminismes, à savoir une communauté de destin.
Se tirer une balle dans le pied
Mais qu’entendons-nous par « nationalisme » ? Ne tergiversions pas, ne ratiocinons pas : le nationalisme est la science de la nation qui se concrétise en tant que doctrine d’action qui, comme telle, est l’expression de toutes les forces d’une nation qui s’opposent à sa mort et à sa destruction. C’est avant tout une méthode d’analyse des problèmes qui se posent à la vie de la nation et de leur résolution par rapport à celle-ci. Ce n’est pas une forme, contrairement à ce que pense Guyot Jeannin. C’est une science qui prend en compte la totalité de ce qui fait l’être national, spirituel intellectuel matériel (donc territorial, humain, économique, militaire etc.)
Bref, nationalisme est le nom que revêt aujourd’hui la doctrine permettant de discerner la voie du bon gouvernement d’un peuple, doctrine politique qui a existé de tous temps chez les gouvernants avisés. C’est la base de toute politique cohérente et efficace. Auparavant sujets, aujourd’hui citoyens, naturels français (pour ne considérer que la seule France) les enjeux demeurent de même nature : assurer à la nation, jadis au royaume, dont nous sommes membres, les moyens de ne pas se laisser dominer par d’autres nations, peuples ou royaumes, bref d’autres entités politiques et étatiques.
Outre la forme, rien ne change : jadis c’était l’attachement au souverain qui incarnait l’identité nationale qui ne portait pas encore ce nom, aujourd’hui, c’est l’attachement à une communauté de destin qui, si elle disparaît fera que nous ne serons plus en état d’être nous-même et de transmettre ce que nous avons reçu aux générations à venir, étant donné que nous sommes les maillons d’une longue chaîne historique et culturelle qui nous permet de nous hominiser.
Vilipender le nationalisme, le conspuer comme le fait Guyot Jeannin revient, dans le monde contemporain, pour toute personne qui se dit attachée à son pays, à se tirer une balle dans le pied, à travailler contre l’attachement qu’il dit avoir pour son pays, sa patrie. C’est éminemment contreproductif. Pire encore, cela revient à apporter son soutien aux ennemis de cette réalité spirituelle et charnelle que nous voulons maintenir et dont nous voulons assurer l’avenir.
Le mot ne convient pas ? Mais d’autre mot, d’autre terme, nous n’en disposons pas qui ait cette force signifiante dans le langage politique contemporain.
Dans l’ordre politique dit démocratique dans lequel nous vivons, où la nation est divisée contre elle-même à travers le régime des partis, le courant nationaliste apparaît comme un mouvement politique parmi d’autres : nous sommes contraints de mener la lutte politique dans le cadre politique que nous trouvons, bien que nous le considérions comme nul et non avenu, pour faire en sorte que la France, aujourd’hui ombre d’elle-même puisse reprendre le cours de son destin en fidélité à sa tradition.
Cependant, contrairement aux autres courants politiques, qu’il s’agisse des diverses moutures du socialisme, du libéralisme et autre social-démocratie, le nationalisme n’est pas une idéologie. Il fonde en effet ses analyses, ses propositions d’action politique sur cette réalité géographique, historique et charnelle qu’est la nation et non pas sur des idées issues de quelque ratiocination intellectuelle à plaquer sur la société pour tenter de la modeler en fonction de leurs vues de l’esprit nourries d’utopies. Nous savons trop les désastres que la volonté de réaliser le « socialisme » a pu engendrer, un socialisme dont la définition varie selon les individus et qui vise à plier le réel à ses chimères et autres rêveries intellectuelles. Nous savons aussi combien le libéralisme, aux définitions multiples, tant dans le domaine de la conduite des mœurs que dans le domaine économique, a pu et continue à produire des désastres. Et des réflexions de même nature peuvent être faites à propos de l’idéologie écologiste aux funestes conséquences politiques et sociétales. Certes, nous savons qu’il nous sera répondu que les « nationalismes » ont semé la désolation et il nous sera cité en exemple le deuxième conflit mondial. Sans entrer présentement dans une longue argumentation, nous répondrons ceci.
L’idéologie est venue « pourrir » la politique dès la Grande Guerre avec la notion de « guerre du droit » et les idées de Wilson. A la suite du précédent républicain en France – ayons présent à l’esprit que les soldats de l’An II se battaient certes pour la France mais tout autant, de manière fort ambiguë, pour répandre en Europe l’idéologie de la « liberté » – il y a eu l’émergence de l’Etat soviétique après 1917 qui a instrumentalisé la Russie à des fins idéologiques, avant que, cette fois encore, patriotisme russe et idéologie communiste ne forment un mélange improbable dans ce qui était une forme renouvelée de l’empire russe et qui s’est dissous en 1991 avec la réapparition de la Russie éternelle en tant que telle. Les mouvements d’essence nationaliste comme le fascisme en Italie et le national-socialisme, qui étaient fondamentalement une réaction contre le pourrissement de l’âme européenne, réaction dans l’urgence, avec tous les travers que cela comporte, ne pouvaient inévitablement que prendre position sur cet aspect idéologique avec pour conséquence une pensée hybride, à la fois nationale et idéologique. En outre, il ne faut jamais ignorer que le déclenchement du conflit en septembre 1939 et son envenimement ont été provoqués par les tenants de l’idéologie libérale démocrate aux affaires dans le monde anglo-saxon avec une République française en remorque et dont le prolongement actuel est l’idéologie mondialiste.
Quant aux développements politiques funestes, dont certains auraient pu être évités avec quelque discernement, nous devons rappeler que l’hubris, autrement dit la démesure relativement aux moyens dont on dispose, est un travers qui guette tous les pouvoirs, quels que soient leurs fondements métaphysiques, doctrinaux, idéologiques. Et cette hubris gangrène plus que jamais le dernier ensemble politique à fondement idéologique survivant du XXe siècle, à savoir le libéralisme à dominante anglo-saxonne. Mas cela relève de l’art du politique dans tous ses développements.
Ces trop succinctes précisions étant apportées, se dire, se revendiquer nationaliste, de nos jours, est la plus haute expression politique dont puisse se réclamer toute personne consciente de ce fait qu’elle ne peut être elle-même qu’en s’affirmant comme héritière d’une tradition ethno culturelle, civilisationnelle dont elle est l’usufruitière et dont elle a pour charge de la transmettre aux générations à venir de la même manière qu’elle l’a reçue des générations passées.
Patriotisme et nationalisme
Venons-en à la distinction entre patriotisme et nationalisme qui est au fond de la pensée de Guyot Jeannin. Il s’inscrit ainsi dans le sillage d’un François Hollande qui opposait patriotisme et nationalisme dans les termes suivants : « Le patriotisme, c’est n’être jamais fatigué de servir son pays, le patriotisme c’est faire parler l’histoire pour mieux regarder droit devant vers l’avenir. Le patriotisme n’est pas une nostalgie, c’est une volonté. Celle de faire entrer la France dans le monde au premier rang, en préservant son identité, c’est-à-dire la république sociale. »
Voilà a priori des propos auxquels il semble que nous pourrions souscrire. Pourtant, il n’en est rien. Tout d’abord, qu’est-ce que le patriotisme ? Selon le dictionnaire Larousse, le patriotisme est un « attachement sentimental à sa patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir ». Il faut alors définir ce qu’est la patrie. Toujours selon le Larousse, la patrie est le « pays où l’on est né ou auquel on appartient comme citoyen, et pour lequel on a un attachement affectif ».
Deux questions de posent alors : De quelle patrie parle-t-on ? Quelle différence existe-t-il alors entre nationalisme et patriotisme ?
Il reste alors à donner à un contenu à cette patrie. Nous savons que le mot « patrie » peut être utilisé pour désigner tout autant une nation qu’une province, un terroir, un village. Dans le cas présent, la patrie de François Hollande est singulière : il s’agit de la « république sociale » qui tient lieu d’identité de la France. Autrement dit, la France est confondue avec la république, « sociale » qui plus est, notion qui reste à définir. Une réalité humaine vivante, enracinée, substantielle comme la France est ainsi assimilée à une idée et à l’idéologie qui en découle, la « République », ce qui est une tromperie, une faute de l’esprit. Ce n’est pas pour nous surprendre car nous retrouvons ici la confusion entretenue depuis la Révolution française entre France et République. Et plus que jamais, alors que le mot « république » revient dans tous les discours concernant la France à la place du mot France, nous devons expliquer que le patriotisme républicain n’a rien à voir avec le patriotisme français.
Ainsi, Roger Leray, Grand Maître du Grand Orient de France au Convent de 1968, cité dans la revue maçonnique « Humanisme » de juillet 1969 déclarait-il : il y a 200 ans, le chevalier de Ramsay a annoncé la république universelle : « Le monde entier n’est qu’une grande République dont chaque Nation est une famille et chaque Particulier un Enfant ». (Ramsay, discours de 1737.) Depuis, inlassablement, les francs-maçons participent à son édification sans avoir rencontré de résistance décisive.
Ainsi, selon que la patrie en question est la France ou la République, le patriotisme concerné ne sera pas nécessairement le même. Si nous prenons la France pour référence, nous appliquerons le patriotisme, autrement dit un attachement sentimental et une volonté de défense de cette patrie à la France plus que millénaire, celle issue de l’antiquité celtique et romanisée et constituée à partir du baptême de Clovis, avec les quarante rois « qui ont fait la France mais aussi toutes les réalisations nées du génie français jusqu’à nos jours. Nous assumons toute l’histoire de France car c’est la seule attitude réaliste.
Si nous faisons référence à la « République », la France (mais les Etats-Unis sont dans la même ligne idéologique) n’est plus alors rien d’autre qu’un territoire servant de support à un projet politique apatride, planétaire, certes avec des spécificités que l’on ne peut effacer, mais qui n’a aucune signification identitaire, culturelle particulière que l’on puisse préserver, sauf si elle sert à promouvoir le dessein républicain qui, rappelons-le est un concept idéologique construit par pure construction intellectuelle, en rébellion contre l’ordre universel et auquel elle pense commander. Gambetta déclarait d’ailleurs le 1er juin 1877 à une délégation de jeunes hommes : « Nous avons l’air de combattre pour la forme d’un gouvernement, pour l’intégrité de la constitution (républicaine) ; la lutte est plus profonde : la lutte est contre tout ce qui reste du vieux monde … et les fils de 89 ». Si, par la force des choses, la confusion entre république et France existe dans l’esprit de la plupart des Français, elle n’existe pas chez les dirigeants du régime républicain en France et ne doit pas exister chez les nationalistes. IL faut dissiper cette ambiguïté au plus vite.
Le nationalisme, une doctrine opérative
Cela précisé, abordons la seconde question, à savoir ce qui différencie le patriotisme du nationalisme. Mais, tout d’abord, quelle est l’origine du mot ?
L’abbé Barruel dans Mémoire pour servir à l’histoire du jacobinisme (Tome 2, p.115, Ed. DPF 2005) cite Weisshaupt, chef des Illuminés de Bavière, qui écrivait dans son « Discours du Hiérophante » : « Le nationalisme ou l’Amour national prit la place de l’amour général … alors il fut permis de mépriser les étrangers, de les tromper et de les offenser ». Weisshaupt, bien sûr, se réclamait de l’amour universel et combattait le nationalisme. Autrement dit, le nationalisme s’oppose au cosmopolitisme, à la volonté de noyer, voire de broyer les nations dans une humanité indifférenciée, s’opposant ainsi à l’ordre universel qui a constitué l’humanité en peuples, en nations différenciées, à la personnalité unique, développant une culture propre, un génie propre contribuant dans l’universel à l’enrichissement de l’humanité et à son accomplissement dans l’ordre universel.
Mais le nationalisme est d’une nature différente de celle du patriotisme. Si l’un et l’autre professent un attachement sentimental à la patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir, le patriotisme n’est qu’une attitude d’empathie envers le pays dans lequel on vit et le peuple dont on est issu et dont on est membre. Il désigne une bonne volonté de le servir mais sans structure, sans la charpente intellectuelle et doctrinale qui lui donne une consistance efficace, opérative.
Le nationalisme donne cette structure, cette doctrine opérative.
Il vertèbre en quelque sorte le sentiment patriotique, le rend pleinement conscient à lui-même. Le nationalisme pense la patrie et par conséquent l’entité nationale. Il est un ensemble de connaissance observées depuis l’origine de l’espèce humaine qui donne l’explication compète d’un certain nombre de faits et permet de trouver les solutions les mieux adaptées aux besoins permanents d’un État particulier ou d’un type d’individu différent par nature. Il ne s’agit pas de découvrir des vérités nouvelles mais de parvenir à utiliser des vérités bien établies, issues de l’observation de l’histoire, pour répondre aux questions qui se posent dans le monde actuel.
Comme l’écrivait Maurras « Le monde physique a des lois, la nature humaine a les siennes qui ne s’inventent pas, mais qui se découvrent. L’esprit de l’homme, au lieu de spéculer dans les nues, doit regarder autour de lui afin d’y trouver son conseil et sa direction dans la lumière » (Mes Idées politiques, 1ère Partie, L’Homme, Nature et raison)
La connaissance de l’histoire, expérience en acte, sert aussi à préserver les peuples des faux aiguillages, les empêcher de construire leur développement de manière viciée, de se forger des mœurs déréglées, de dispenser un enseignement public, une éducation perverse et pervertie, le sauver des solutions économiques, sociales ou politiques improvisées, l’empêcher de jouer, entre les mains de ses dirigeants politiques, le rôle de cobaye de laboratoire, rendre les chefs politiques capables de suite dans les idées, capables même de directives nationales. Autant de services qu’apporte l’étude l’histoire, de son pays tout d’abord mais aussi des autres peuples. C’est ce que Maurras désignait sous l’appellation d’empirisme organisateur.
Les vérités premières et les positions politiques qui en découlent ne dépendent pas du contexte psychologique ou économique qui change d’une période à une autre. Ces vérités tiennent leur origine dans la nature humaine et des obligations immuables de la vie en société. Les circonstances changent et en même temps s’ajoutent les difficultés supplémentaires créées par elles. Mais les vérités premières demeurent seules capables d’apporter la meilleure solution aux interrogations qui se posent à différentes époques, dans des situations nouvelles. La nécessité de l’autorité, la primauté du travail, le respect de la famille, l’indépendance de la patrie, dans la reconnaissance des différences d’origine et de pensée, voilà l’essentiel des idées politiques vraies, sur lesquelles il est possible de conduire une action politique féconde.
Comme l’a professé Pierre Sidos (1927-2020), le nationalisme est l’expression politique, conséquente et nécessaire du patriotisme. « L’Etat, c’est la souveraineté. La patrie c’est le sol. La nation, c’est l’histoire. Le peuple, c’est le corps national. Partant de là, il n’y a que le nationalisme qui puisse redonner à la France sa véritable image, puisque partout ailleurs, il n’y a aucun message, aucune forme qui se dessine et qui soit une forme d’avenir.
En dehors du nationalisme, il n’est jamais question que de problèmes matériels qui, pour aussi justifiés qu’ils soient dans certains cas, ne sont porteurs d’avenir ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan moral. Seul, par conséquent, le nationalisme demeure la doctrine d’avenir et les nationalistes, loin d’être les derniers d’hier sont les premiers de demain. » (Introduction à la plaquette de présentation de l’Œuvre Française en 1983)
La nature du nationalisme
Paul Bourget (Pages de critique et de doctrine, t.1, p.148, Ed. Plon 1912) énonçait ainsi la nature du nationalisme : « le nationalisme n’est pas un parti : c’est une doctrine. Elle dérive de cette observation, toute expérimentale, à savoir que notre individu ne peut trouver son ampleur, sa force, son épanouissement que dans le groupe dont il est issu ». Pour notre part, nous avons précisé précédemment qu’il s’agissait d’une science de la nation se concrétisant dans une doctrine d’action.
Maurice Barrès écrivait que le nationalisme est vrai car il repose sur la vie : « Vous préféreriez que les fruits de l’hérédité n’existassent pas, que le sang des hommes et le sol du pays n’agissent point, que les espèces s’accordassent et que les frontières disparussent. Que valent nos préférences contre les nécessités. (Scènes et doctrines du nationalisme, p. 441). « Le problème n’est point pour l’individu et pour la nation de se créer tels qu’ils voudraient être (oh ! l’impossible besogne !), mais de se conserver tels que les siècles les prédestinèrent. »
Le nationalisme est la condition nécessaire pour maintenir la conscience d’un peuple en éveil sur sa propre réalité. Il est l’expression consciente et structurée de l’âme de la nation, jaillissant des tréfonds de son être ; par les actions qu’il inspire et suscite, le nationalisme est la manifestation de la volonté de vie qui brûle en son sein.
Loin d’être une expression de haine, le nationalisme est effectivement une expression d’amour (mot qui n’apparaît pas chez Guyot Jeannin) : celui de son pays, de sa patrie et par conséquent de tout ce qui contribue à la rendre plus belle plus forte. En ce sens, il ne peut que comprendre que le même sentiment soit légitimement éprouvé par les membres des autres peuples dont ils sont les héritiers et les usufruitiers. Et, de même qu’il existe un grand nombre de nations, il existe autant de nationalismes se rapportant à chaque nation. Le nationalisme, c’est l’acceptation d’un déterminisme : le fait d’être né au sein de telle nation, avec tels parents, à telle époque.
L’âme de cette nation se manifeste dans la tradition qui est, en quelque sorte, le code génétique de l’organisme national : parler de tradition veut dire transmission par un organisme vivant, en évolution constante, d’un legs moral, spirituel, culturel, civilisationnel qui, de génération en génération ne laisse pas de se modifier, de s’enrichir d’éléments nouveaux tout en restant identique à soi-même. Comme l’a écrit le nationaliste canadien, le chanoine Lionel Groulx (Directives, p. 209 Ed. Zodiaque, Montréal 1937), « la tradition est le plan architectural selon lequel un peuple bâtit son histoire, alors que fidèle aux impulsions spécifiques de son âme, il crée, évolue, mais sans jamais briser ses lignes de fond, restant consubstantiel à son passé, à ses ancêtres, au génie de sa race ». Cette tradition est l’expression actualisée de cet enracinement dans une terre, une civilisation sur lequel Maurice Barrès a tant insisté.
Le comte de Caylus, au XVIIIe siècle, avait décrit ce code génétique dans le domaine artistique : « Le goût d’un pays étant une fois établi, on n’a qu’à le suivre dans ses progrès et ses altérations… Il est vrai que cette seconde opération est plus difficile que la première. Le goût d’un peuple diffère de celui d’un autre peuple, presque aussi sensiblement que les couleurs primitives diffèrent entre elles ; au lieu que les variétés du goût national en différents siècles peuvent être regardées comme les nuances très fines d’une même couleur. »
En ce sens, le nationalisme est le mot qui aujourd’hui, c’est-à-dire depuis l’émergence du monde contemporain, est l’appellation de la doctrine qui, en tous temps a guidé la politique des hommes d’Etat chargés de la conduite des affaires de leur pays doué d’une âme et d’une personnalité unique enracinées dans un territoire et dans l’histoire. Ainsi, le nationalisme français est l’actualisation de la ligne politique qui guidait les rois de France, tels Philippe Auguste, Saint Louis, leurs successeurs et leurs ministres tel Richelieu.
Maurras (Au Signe de Flore, p. 256 Ed. Grasset, 1933) écrivait : « Depuis que se trouve dissoute l’ancienne association connue au Moyen Age sous le nom de chrétienté, et qui continuait, à quelques égards, l’unité du monde romain, la nationalité reste à condition rigoureuse, absolue de toute l’humanité. Les relations internationales, morales ou scientifiques, dépendent du maintien des nationalités. Si les nations étaient supprimées, les plus hautes et les plus précieuses communications économiques ou spirituelles de l’univers seraient menacées : nous aurions à craindre un recul de la civilisation. Le nationalisme n’est donc pas un fait de sentiment : c’est une obligation rationnelle et mathématique. »
Une doctrine d’action
En tant que doctrine d’action, le nationalisme est l’expression de toutes les forces d’une nation qui s’opposent à sa mort et à sa destruction. C’est avant tout une méthode d’analyse des problèmes qui se posent à la vie de la nation et de leur résolution par rapport à celle-ci.
Englobant l’ensemble des aspects et des composantes de la nation, le nationalisme ne peut accepter la division artificielle et destructrice de la nation provoquée par le système démocratique en droite et gauche. La nation, en tant qu’organisme vivant, est constituée de cellules vivantes dont la première est la famille, d’organes sociaux que sont les corps intermédiaires territoriaux, sociaux, économiques, culturels. Par suite, tout en posant le principe intangible de souveraineté sans laquelle aucune nation – de même qu’aucune entité vivante – ne peut être responsable et maîtresse de son destin, le nationalisme pense la société non pas comme un agrégat d’individualités isolées les unes des autres comme des monades autonomes mais comme un ensemble organique articulé selon le principe de suppléance (appelé encore principe de subsidiarité) propre à toute société tel que le dégage l’anthropologie. Par conséquent, mu par le souci constant de l’union et non de la division, le nationalisme engendre nécessairement le socialisme, le socialisme étant « l’amélioration matérielle et morale de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ». La Francisque, cette hache à deux lames, avait été à juste titre choisie comme emblème de l’Etat Français.
Dès lors, lorsque l’on étudie les faits politiques, économiques, sociaux, avec une telle doctrine dans un ordre mondial qui combat le fait national, il devient évident, inévitable que les analyses qui en résultent vont être des propos de combat contre un ordre du monde mu par des forces qui veulent détruire les nations d’une manière ou d’une autre. Par conséquent, le nationalisme est la défense et la promotion de l’héritage moral intellectuel religieux de la nation déjà constituée, communauté de destin dans l’universel.
Il ne faut pas se laisser prendre au piège de l’inversion accusatoire qui présente les nationalismes comme des fauteurs de guerre alors que, dans leur manifestation, dans leurs actes, ils ne sont dans le contexte contemporain que des réactions de saine défense et de légitime protection face à l’agression dont les peuples sont ainsi victimes.
Lorsque l’on aime, on aide ce que l’on aime à s’épanouir et on le défend contre ceux qui veulent l’attaquer, voire l’anéantir.
Aujourd’hui, plus que jamais, les nations sont agressées par des forces cosmopolites qui veulent les détruire afin de les fondre dans une indifférenciation humaine planétaire. Lorsque le baron de Rothschild déclarait dans la revue Entreprise du 18 juillet 1970 (p. 64) que « le verrou qui doit sauter à présent, c’est la nation », il résumait le mot d’ordre mondialiste que ses promoteurs s’appliquent à exécuter chaque jour qui passe.
Comme nous l’avons montré précédemment avec la déclaration de Roger Leray, c’est la nation qui est agressée par des forces qui veulent la détruire et qui, de fait la haïssent. Il ne faut pas inverser la réalité, la subvertir, comme le font les ennemis des nations et, par voie de conséquence, du nationalisme. Nous devons le savoir et le répéter : le nationalisme est l’expression de l’amour de son peuple et, par suite un appel à la concordance des nations, sachant que, toujours, comme dans les relations entre toute entité vivante, les rapports internationaux seront régis par un équilibre dynamique fondé sur les rapports de forces. Il n’y a là aucune expression de haine mais la simple manifestation de la volonté de vivre et d’exister propre à tout organe vivant, conformément aux lois de l’ordre naturel.
Certes, nous accorderons que, comme en toute chose, il existe des perversions du nationalisme qui sont source »s de graves dangers. Ce sont les nationalismes qui ne sont pas entés sur cette réalité concrète qu’est la nation spirituelle et charnelle. C’est le cas du nationalisme républicain en France. Il s’agit d’un nationalisme universaliste et idéel, celui de la République universelle dont le territoire de la France n’est qu’une base de départ donnée par le hasard de l’histoire. Il se rapporte à une idée et plus encore à une idée rationaliste qui ne se donne d’autre justification que celle que veut bien lui procurer la raison humaine, déifiée par les « Lumières », au gré de ses humeurs. C’est le sujet soulevé par Jean de Viguerie avec ses « Deux patries », que Guyot Jeannin cite sans aller plus avant dans l’analyse.
Ces nationalismes sont construits non pas sur l’amour de son pays, sur la défense et l’illustration d’une civilisation mais sur la détestation de tout ce qui ne s’accorde pas avec leurs présupposés idéologiques. Ces nationalismes-là n’existent pas par eux-mêmes mais se développent, se nourrissent par l’opposition à un ennemi fabriqué par idéologie. Et, au nationalisme républicain, nous pouvons joindre le nationalisme paradoxal des internationalistes socialistes, tel que le voulaient les dirigeants du Komintern, avant que cette rhétorique ne s’efface, ne se fonde dans le nationalisme russe recouvert du vernis soviétique. Mais on ne construit rien de solide sur la détestation d’autrui : la seule construction solide, pérenne, est celle qui se fonde sur une réalité tangible, à savoir une réalité spirituelle et charnelle, historique, traditionnelle.
Ne soyons pas dupes. Retrouvons notre fierté nationale aujourd’hui décriée, avilie par une mentalité de repentance ambiante et instrumentalisée par les ennemis de la civilisation avec le concours d’idiots utiles, apprenons notre passé car, qui connaît le passé comprend le présent et prépare l’avenir. Et, pour cela, revendiquons nous nationalistes, réclamons-nous du nationalisme, seul mot qui a actuellement assez de force, assez de signification, assez de sens pour rallier l’élite de la nation, à savoir ces naturels (français pour notre part) qui constituent cette minorité consciente des enjeux inaccessible au découragement. Ernst von Salomon écrivait dans Les Réprouvés que « la nation brûlait sourdement dans quelques cerveaux hardis ». Ces « cerveaux hardis » ce sont, dans chaque pays, présentement, ceux qui se revendiquent du nationalisme. Et en Europe, les nationalistes sont les seuls à travailler activement pour assurer l’avenir de la civilisation européenne, conscients que la défense de leur trésor civilisationnel commun se fera à travers celle de chacune des nations qui ont porté cette civilisation au firmament de l’histoire de l’humanité.
Pensons, agissons en vue de la défense et de la valorisation du bien commun de la nation dont nous sommes membres : ce moyen est le seul par lequel nous pourrons préserver l’entièreté de notre personnalité car, conjointement aux spécificités héritées de nos lignées familiales, celle-ci ne peut se déployer pleinement et harmonieusement que dans le cadre culturel et civilisationnel qui lui a permis de « s’homminiser », en lui apportant tout le fruit de l’expérience et du travail des générations qui nous ont précédées et dont nous avons le devoir de transmettre l’héritage, intact et si possible enrichi.
André GANDILLON, rédacteur en chef de la Revue Militant.
Réagissez à cet article !